Habitation de société : gratuitement ou payer un loyer ?

Un administrateur envisage d’acheter (l’usufruit d’) un immeuble par l’intermédiaire de sa société.

Habitation de société : gratuitement ou payer un loyer ?

Un administrateur envisage d’acheter (l’usufruit d’) un immeuble par l’intermédiaire de sa société. Il souhaite utiliser ce bien, en tout ou en partie, comme une habitation. Regardons deux scénarios. : l’occuper gratuitement et être imposé sur un avantage de toute nature (ATN) ou payer un loyer à la société?

 

    I.Y habiter gratuitement

Lorsqu’un administrateur occupe gratuitement un immeuble appartenant à sa société, il doit déclarer un ATN logement gratuit à titre privé. Le montant de cet ATN est calculé sur la base du revenu cadastral (RC). Plus précisément, l’ATN est égal au RC indexé × 5/3 × 2. S’il utilise la totalité du bien comme résidence, l’ATN est calculé sur le montant total du RC. S’il n’utilise qu’une partie du bâtiment à des fins privées, il ne doit prendre en compte que le RC de la partie en question. Un ATN est une rémunération, et il faut donc des impôts dessus, au taux progressif, ainsi que des cotisations sociales.

Si l’administrateur habite le bien à titre gratuit, il doit justifier la déduction des amortissements et des autres frais liés à la partie résidentielle sur la base de la «théorie de la rémunération». Le raisonnement qui sous-tend cette théorie est que la société supporte ces frais pour fournir l’ATN à l’administrateur, et que ces frais sont donc en réalité des frais de rémunération du chef d’entreprise. La Cour de cassation juge ce raisonnement correct dans son principe (Cass., 13.11.2014), mais ne voit pas d’inconvénient à ce que l’administration fiscale – comme condition de la déduction – exige la preuve que l’ATN soit la contrepartie de services effectifs rendus par le dirigeant à la société (Cass., 14.11.2016). La déclaration d’un ATN ne suffit donc pas en elle-même pour justifier la déduction. Malheureusement, le fisc accepte rarement d’admettre que la preuve des prestations réelles du dirigeant a été fournie et, de plus, les juges lui donnent généralement raison. Dans la quasi-totalité des affaires dans lesquelles la théorie de la rémunération est le seul élément invoqué pour justifier la déduction des frais, la décision est défavorable au contribuable (p.ex. Anvers, 27.11.2018 ; Mons, 15.11.2017 ; Gand, 24.09.2019 ; Liège, 28.11.2016 ; Cass., 25.06.2020).

Une mention de l’ATN dans le procès-verbal de l’assemblée annuelle et son intégration dans le package salarial total peuvent aider (Gand, 19.05.2020), mais cela ne constitue pas une preuve concluante de la réalité des prestations et ne garantit donc pas l’acceptation de la déduction.

L’ATN peut aussi être compensé par une réduction du salaire de l’administrateur en argent, de sorte que son salaire total imposable reste (plus ou moins) identique. L’ATN ne correspond alors pas à un salaire supplémentaire, pour lequel il faut démontrer des prestations réelles supplémentaires, mais simplement à une autre forme de rémunération.

 

II.Location du bien à la société

Lorsque l’administrateur loue un bien de sa société, il ne faut plus déclarer d’ATN si le loyer payé est au moins égal à l’ATN sur lequel l’administrateur serait imposé s’il habitait le bien gratuitement. Et ce même lorsque le montant de l’ATN est inférieur au loyer qu’il faudrait payer pour le bien si l’administrateur le louait à un propriétaire indépendant. Le paiement du loyer, qu’il est préférable d’organiser en pratique par le biais d’une imputation sur le salaire net, est bien sûr plus coûteux pour l’administrateur, à titre privé, que le simple paiement des impôts et des cotisations sociales sur l’ATN.

Le loyer est un produit, et il contribue donc au bénéfice imposable de la société. Mais c’est aussi un argument en faveur de la déductibilité des frais de l’immeuble. La condition liée à la déduction des frais professionnels, à savoir qu’ils soient engagés pour obtenir ou conserver des revenus imposables (art. 49 CIR 92) est alors, en effet, en principe remplie. Le fait que les frais soient plus élevés que les revenus, ce qui est généralement le cas lorsqu’on ne paie pas un loyer «conforme au marché» mais seulement le montant de l’ATN, n’est pas en soi une raison permettant à l’administration de refuser la déduction des frais (Cass., 23.04.2010 ; Anvers, 27.02.2018).

Si, au moment de l’achat (de l’usufruit) du bâtiment, il est déjà clair que l’investissement ne sera jamais rentable pour la société, le fisc peut refuser la déduction des frais (Cass., 21.06.2019 ; Gand, 13.02.2018 et 03.11.2020).

Avant d’acheter – surtout en cas d’usufruit – établissez un plan financier démontrant l’intention de l’administrateur d’en faire une opération rentable pour la société, et que cette intention est réaliste.

Si l’administrateur paie un loyer conforme au marché, généralement plus élevé que l’ATN, le contrôleur n’a en principe aucun argument pour refuser la déduction des frais, même si la société n’a que l’usufruit du bien.

 

III.Quelle est la meilleure solution ?

La question de savoir si les frais de l’habitation de l’administrateur sont déductibles pour sa société est généralement une question de faits. Il n’y a pas de réponse générale. Discutez-en avec votre gestionnaire de dossiers afin de choisir le scénario qui réduira le plus le risque de refus de la déduction par le fisc et les tribunaux.

Premièrement, la probabilité que le fisc fasse des difficultés est normalement plus grande si la partie privée de la propriété est importante. Si la société achète p.ex. un bâtiment qui est en grande partie utilisé comme bureau par la société et dont seule une petite partie sert de résidence à l’administrateur, la probabilité d’une discussion avec le fisc est plus faible que si la société achète, à la côte, une résidence secondaire que l’administrateur n’utilise que peu voire pas du tout pour les activités de la société. En outre, l’impact du rejet dans la première situation est également moindre, puisque les frais de la partie du bien utilisée par la société restent déductibles.

Deuxièmement, un achat en pleine propriété est normalement plus sûr qu’un achat en usufruit, car dans le premier cas, il est possible et même raisonnablement probable que la société réalise encore une plus-value en cas de revente ultérieure du bien, ou lorsque l’administrateur le reprend suite à la liquidation de la société. Cette plus-value constitue donc un revenu imposable dont la société n’aurait pas bénéficié si elle n’avait pas acheté le bien, ce qui peut donc justifier la déduction des frais (Gand, 03.12.2019 ; Anvers, 14.01.2020). Dans le cas de l’usufruit, cet argument de la plus-value n’existe normalement pas, car le bien disparaît de la société à la fin de l’usufruit sans qu’elle ne reçoive aucune compensation.

Dans la mesure où la déduction des amortissements est refusée, la valeur comptable fiscale de l’immeuble ne diminue pas. Par conséquent, lorsqu’il sera revendu par la suite, la plus-value imposable sera moindre. Les impôts que la société n’économise pas parce que les amortissements ne sont pas déductibles, elle les récupèrera donc d’une autre manière plus tard, sur la plus-value.

Normalement, l’administrateur est totalement à l’abri d’un point de vue fiscal s’il laisse la société acheter le bien en pleine propriété et qu’il paye lui-même un loyer conforme au marché. La taille de la partie privée n’a alors pas d’importance. Mais est-ce toujours financièrement intéressant de faire acheter l’habitation par la société ? Mieux vaut demander à votre gestionnaire de dossiers de le calculer sur la base de chiffres concrets. Le plus grand risque de voir le fisc refuser la déduction des frais et le juge lui donner raison, c’est lorsque la société achète un immeuble en usufruit que l’administrateur utilise entièrement comme habitation et pour lequel il est imposé sur un ATN. Car il ne peut alors pas invoquer la théorie de la plus-value, mais uniquement celle de la rémunération et, comme nous l’avons dit, la jurisprudence relative à cette théorie est généralement défavorable au contribuable.